« On ne mange pas la route » : Quand le goudron devient mémoire collective
Retour sur un paradoxe malien
Sous Alpha Oumar Konaré, ATT, puis IBK, une phrase revenait sans cesse dans les débats populaires :
« On ne mange pas la route ».
C’était une manière cynique de dire que le développement ne se limite pas à construire des routes. Certains artistes l’ont chanté avec amertume, dénonçant des priorités politiques mal orientées, des chantiers interminables, ou des kilomètres de goudron livrés en retard.
Pourtant, il faut reconnaître un fait :
À cette époque, presque toutes les régions du Mali étaient reliées à leurs cercles, communes et arrondissements par des routes goudronnées.
Les frontières vers les pays voisins étaient accessibles en moins de 24h grâce à des axes routiers relativement praticables. Bamako-Dakar, Bamako-Abidjan, Bamako-Ouagadougou… ces trajets faisaient partie du quotidien des transporteurs et commerçants.
Et aujourd’hui ?
Des routes en ruines, un pays enclavé
Le constat est amer :
Beaucoup de routes sont devenues impraticables.
Des zones entières sont coupées du reste du pays, surtout pendant l’hivernage.
Certaines régions, jadis accessibles en quelques heures, nécessitent aujourd’hui des jours de détour ou de pistes dégradées.
Le goudron est fissuré. Littéralement.
L’économie paye le prix du bitume abîmé
Coût des transports multiplié : carburant plus cher, entretien des véhicules impossible à suivre, délais de livraison allongés.
Inflation locale : les denrées coûtent plus cher dans les villes éloignées, les produits agricoles ne sortent plus des villages.
Perte de compétitivité régionale : le Mali devient moins attractif pour les échanges commerciaux avec ses voisins directs.
Et les artistes, que disent-ils aujourd’hui ?
Le silence est parfois plus lourd que les paroles.
Le slogan « On ne mange pas la route » n’est plus vraiment chanté… Pourquoi ?
Parce que désormais, on ne mange même plus faute de route !
La désillusion est là : sans voies d’accès, sans mobilité, sans échanges, ni les producteurs, ni les commerçants, ni les artistes ne peuvent prospérer.
Certains chanteurs dénoncent l’abandon des villages, l’enclavement des régions du nord, du centre, ou du sud profond. Mais l’essentiel de la scène musicale semble s’être résignée ou recentrée sur d’autres combats.
Que dit le peuple ?
Le peuple gronde en silence.
L’enclavement n’est plus un débat politique, c’est un fait quotidien.
À Kayes, à Kidal, à Tombouctou, à Gao, à Sikasso, à Mopti ou au Mandé, chacun sait que voyager est devenu une épreuve de courage.
Alors, que dire aujourd’hui ?
Le développement sans routes est un leurre.
Le développement avec des routes non entretenues est un piège.
Le désenclavement n’est pas une option, c’est une urgence nationale.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus de savoir si « on mange la route », mais si on peut encore l’emprunter.
Et sans route, c’est l’économie, la sécurité, la culture et l’espoir qui s’effritent.
Conclusion
Le Mali a besoin d’un nouveau contrat social autour de l’infrastructure : Non pas des routes pour inaugurer, mais des routes pour vivre, commercer et avancer.