L’un des principaux partis d’opposition, le Parena, a publié jeudi 4 novembre un memorandum très critique envers la gestion des autorités de transition, intitulé « crise institutionnelle et sécuritaire : comment sortir de l’impasse, comment préserver l’État ». La parole de son président, Tiébilé Dramé, ancien ministre et figure de la scène politique malienne, est rare depuis le coup d’État militaire d’août 2020. Il dresse sur RFI son bilan – provisoire – de la transition et présente les recommandations de son parti.
Tiébilé Dramé : Malheureusement, le Mali est dans une triple impasse. Une première impasse est d’ordre sécuritaire. Nous sommes sous la pression de groupes terroristes un peu partout sur le territoire : dans le delta central du fleuve Niger, sur le plateau Dogon, au Sahel occidental, dans le Gourma malien, dans le Méma, même dans le sud du pays.
Mais les attaques jihadistes, et même leur extension géographique, ne datent pas de l’arrivée des autorités de transition…
Non, pas du tout. De bien avant. Le problème est simplement que, une année après le début de la transition, la situation ne s’est pas améliorée. Loin s’en faut. Alors qu’il y avait beaucoup d’attentes. Cela est un constat. Face à cette situation, il est urgent de créer les conditions d’un sursaut national et d’un rassemblement. Il n’y a pas de place à une diversion quelconque.
Là, vous parlez des Assises…
Bien entendu. Les Assises divisent déjà le pays et l’on ne voit pas la pertinence de ces Assises. La priorité, c’est rassembler le pays autour des forces armées et de sécurité pour faire face à la menace terroriste.
Et cette pression terroriste, elle ne suffit pas à justifier, comme l’a fait le gouvernement, un éventuel report des élections ?
Les Maliens ont pris l’engagement entre eux-mêmes d’aller aux élections lors des concertations nationales. Tout cela a été consigné dans le cadre de la charte de la transition et de la feuille de route. S’il n’est pas possible d’aller aux élections, au lieu de faire comme le gouvernement, il faut réunir les forces vives du pays pour dessiner une nouvelle feuille de route. Mais, cette fois-ci, sur la base d’une réelle volonté politique de restaurer l’ordre constitutionnel, parce que la restauration de l’ordre constitutionnel fait partie des solutions.
Vous dénoncez « l’instauration d’un climat d’intolérance et d’atteinte aux libertés démocratiques fondamentales »…
Le pays est sous la menace de groupes jihadistes et terroristes. Ce n’est pas le moment d’une chasse aux sorcières, d’atteintes aux libertés démocratiques fondamentales, parce que ce pays-là a connu, en 1991, une révolution démocratique pour les droits et les libertés. Donc, il faut les respecter. D’autant, que ça ne contribue pas à rassembler le pays.
Et les procédures judiciaires anti-corruption, sur des dossiers comme l’achat de l’avion présidentiel ou les contrats militaires surfacturés, elles étaient très attendues des Maliens…
Elles sont en cours, mais il ne faudrait pas qu’il y ait une justice à double vitesse. Les procédures doivent être menées dans le cadre de l’État de droit et du respect de la justice.
Vous avez rendu visite, justement, il y a quelques jours, à Soumeylou Boubèye Maïga, à la maison d’arrêt de Bamako…
Oui, je lui ai rendu visite. Il tient bon. Le moral est bon. Je voudrais dire à cette occasion que tout inculpé est présumé innocent. Soumeylou Boubèye Maïga est une personnalité malienne. En attendant qu’un tribunal se prononce sur son cas, on peut peut-être envisager de le mettre en liberté provisoire.
Vous dénoncez enfin « l’isolement diplomatique sans précédent du Mali », en référence aux crises ouvertes avec la France ou la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Mais est-ce que ce n’est pas une manière d’affirmer la souveraineté de l’État malien ?
Le Mali a besoin du reste du monde. Ce n’est pas seulement avec la Cédéao ou la France. Nous sommes suspendus de l’Union africaine. Nous sommes suspendus de la Cédéao. Les États-Unis viennent de suspendre les bénéfices de l’Agoa [loi sur le développement et les opportunités africaines]. L’Union européenne suspend son aide budgétaire. Nous sommes dans une situation d’isolement diplomatique qu’il faut résoudre le plus tôt possible. Raison pour laquelle le Parena a exhorté le président de transition à resserrer les liens avec la Cédéao et à éviter tous bras de fer avec nos voisins et nos partenaires. Je crois qu’il est urgent de sortir de cette situation. La solution à l’ensemble des défis auxquels le pays est confronté aujourd’hui, c’est inviter le président de la transition à unir les forces vives le plus tôt possible, créer les conditions du rassemblement autour de nos forces (armées, ndlr). Nos jeunes gens sur le terrain ont besoin de sentir que le pays tout entier est réuni et rassemblé autour d’eux. C’est cela qui peut leur permettre de faire face à la menace terroriste. Deuxièmement, il faut qu’ensemble, il y ait une feuille de route consensuelle. Troisièmement, nous préconisons que les organes de transition que sont le gouvernement et le CNT (Conseil national de transition) soient plus inclusifs. Enfin, tout cela requiert un Premier ministre rassembleur, consensuel, moins clivant.
Source : RFI